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Antibiorésistance : le retour de la phagothérapie
le 28/02/2017
Entretien
Pour la première fois, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dressé une liste des 12 familles de bactéries les plus dangereuses pour la santé humaine. Des agents pathogènes « menaçants » car les antibiotiques, même les plus efficaces, n’arrivent plus à les éliminer. « La résistance aux antibiotiques augmente et nous épuisons rapidement nos options thérapeutiques. Si on laisse faire le marché, les nouveaux antibiotiques dont nous avons besoin en urgence ne seront pas mis au point à temps », s’inquiète le Dr Marie-Paule Kieny, sous-directeur général à l’OMS pour le Groupe Systèmes de santé et innovation.
Avec cette liste, l’OMS tire la sonnette d’alarme et pointe du doigt les bactéries pour lesquelles il est urgent d’avoir de nouveaux antibiotiques. Mais ces nouvelles molécules ne résoudront pas seules le problème de l’antibiorésistance, souligne Patrice Courvalin, chef de l’unité des Agents antibactériens à l’Institut Pasteur. Pour le microbiologiste, la phagothérapie est une approche complémentaire aux antibiotiques qu’il faut développer.
Qu’est ce que la phagothérapie ?
Patrice Courvalin : C’est une technique qui date du début du siècle dernier qui a surtout été développée par Félix d’Hérelle, un Canadien qui a travaillé à l’Institut Pasteur. Elle est tombée un peu en désuétude du fait de l’avènement des antibiotiques qui se sont avérés beaucoup plus actifs contre les maladies infectieuses. La phagothérapie, c’est l’utilisation des bactériophages. Ces virus infectent les bactéries et détournent leur machinerie cellulaire à leur usage pour se multiplier considérablement. Pour ressortir ils font éclater les bactéries, donc les tuent. Ils sont donc bactéricides.
Pourquoi cette thérapie du passé suscite tant d’espoirs ?
Patrice Courvalin : Il y a moins d’antibiotiques nouveaux, les bactéries évoluent vers la multirésistance donc on a besoin d’approches complémentaires aux antibiotiques. Et parmi celles-ci il y a les bactériophages qui ont été utilisés en Europe de l’Est, notamment en Ukraine, mais peu à l’Ouest où les antibiotiques étaient plus facilement accessibles.
Les bactériophages peuvent être utilisés lorsque l'on a une voie d’accès direct au site d’infection. On peut par exemple pulvériser des cocktails de phages sur la peau des personnes brûlées qui sont souvent surinfectées par du Pseudomonas aeruginosa. Si le cocktail est actif sur cette bactérie, vous pouvez avoir des succès thérapeutiques. Il y aussi les infections osseuses, ou la mucoviscidose. Les patients atteints de cette maladie pulmonaire meurent de surinfection. On étudie aujourd’hui la possibilité d’inhaler des pulvérisations de phages qui vont directement dans les poumons et y tuent les bactéries.
Quelles sont les limites de cette approche ?
Patrice Courvalin : Si vous voulez traiter une infection systémique, c’est à dire une infection profonde, par injection les phages pourraient être détruits. Et si vous faites des injections répétées, il peut y avoir une réaction immunologique contre les protéines de phages.
L’autre limitation est que les phages sont très spécifiques des bactéries. Donc lorsque vous avez une bactérie il faut d’abord être sûr les phages soient actifs. En outre, les bactéries mutent facilement vers la résistance aux bactériophages. C’est pour cela que je parlais de cocktail de phages. Il en faut plusieurs de façon à ce qu’une bactérie ayant muté et devenue résistante reste sensible aux autres phages.
Article original publié sur le site Pourquoi Docteur.